Les Pyrénées
pays des cabanes
Nulle autre massif montagneux ne peut se targuer d’offrir autant de gîtes mis à disposition de tout un chacun sans autre formalité que d’ouvrir la porte et de s’y installer. Héritage d’un riche passé pastoral pour la plupart d’entre elles, ces cabanes demeurent un des emblèmes des Pyrénées. On ne peut en effet ouvrir un livre consacré à ces montagnes sans y observer pour le moins une photo d’une de ces charmantes cabanes. Quel vallon, quelle estive, quel recoin oublié n’a pas son abri ou ce qu’il en reste, rudimentaire abri-sous-roche par endroit ou harmonieuse bâtisse en pierre trônant au milieu des pelouses. Si certaines tombent en ruine, trop isolées, délaissées par tous, d’autres, situées près des chemins balisés, retrouvent une seconde vie en accueillant les randonneurs de passage. D’autres enfin, peu nombreuses il est vrai, sont construites de neuf pour répondre cette fois aux exigences du pastoralisme moderne. Il est nécessaire toutefois de rappeler que si nous pouvons profiter en toute liberté, en tant que simple promeneur, de ce patrimoine bâti, c’est qu’il fait parti du bien commun. En cela, l’organisation pastorale dans les Pyrénées diffère de celle des alpages savoyards où les chalets d’altitude sont bien souvent des concessions familiales, donc privées, donc fermées à clef. Dans nos montagnes, dans la grande majorité des cas, les cabanes de berger sont propriété des communes ou des collectivités territoriales, dès lors pouvant être mis à la disposition de tous.
DE LA FONCTION PASTORALE A LA FONCTION TOURISTIQUE. Avec le déclin du pastoralisme, de nombreuses estives ont été abandonnées et les cabanes désertées par les bergers. Bien des portes condamnées autrefois par un cadenas sont désormais ouvertes. Pour conserver la trace de ce patrimoine et à plus forte raison pour le revaloriser auprès des randonneurs, il a fallu engager des travaux de préservation et d’aménagement. Au cours des années 2000, des subventions ont été accordées par l’Union européenne pour la sauvegarde de ce patrimoine pastoral. Ainsi des deux côtés de la chaîne, des murs ont été consolidés, des toitures refaites, des portes et des fenêtres remplacées. Dans certaines régions des associations de montagnard ont pris le relais. Je me souviens de notre ébahissement un hiver lors de notre arrivée à la cabane d’Artigue longue sous le Mont Né après une montée féérique sous la neige par une nuit de pleine lune. Quelle ne fut pas notre surprise que de trouver un intérieur des plus coquets, une pièce lumineuse où rien ne manquait, ni la toile ciré sur la table, ni la vaisselle dans le placard. Il faut saluer ici le formidable travail du regretté Georges Buisan qui passa plusieurs décennies à patiemment restaurer, en respectant scrupuleusement les techniques de l’époque, les cabanes de Courtaou de la Lit dans la vallée de Lesponne. Sept cabanes au confort certes spartiate mais disposant de bas flanc pour passer une nuit comme dans l’ancien temps. En Ariège les efforts pour la mise en valeur de ce patrimoine ont été très importants. Il faut dire que la région a un riche passé pastoral et que les cabanes font ici partie intégrante du paysage et de la culture. Peut-on imaginer le Couserans sans cabanes, c’est un peu l’âme de ces montagnes qui disparaîtrait.
En dehors des anciennes cabanes de berger, il existe, plus bas dans la montagne, les cabanes forestières gérées par l’Office National des Forêts et dont certaines sont à la disposition des randonneurs comme la cabane du Piéjau à cheval entre le département de l’Ariège et de la Haute Garonne ou celle du Laurenti dans le Donezan. Enfin certaines sociétés de chasse disposent également de cabanes. Portes et fenêtres solidement cadenassées, les chasseurs s’en réservent un usage exclusif.
UNE MULTITUDE D’ARCHITECTURE. De tout temps, l’homme en général, berger et randonneur en particulier, ont cherché à se protéger du froid et des intempéries. Le plus évident pour s’abriter est de tirer profit des anfractuosités qu’offre la nature. Les premiers habitants de nos montagnes se sont ainsi réfugiés dans des abris-sous-roche. Nécessitant peu d’aménagement, l’emplacement, la disposition, l’espèce, tout en ces lieux est le choix exclusif de Dame Nature. Bon nombre de ces cavités à l’épreuve du temps ont traversé les époques et les siècles. Quel envoutement que de passer une nuit allongé au fond d’un de ces abris hors du temps parmi les odeurs de la terre et les mystères immémoriaux. A l’évidence, le plus célèbre et le plus mythique de ces abris-sous-roche est celui de Cregüeña situé sur le bord du lac du même nom dans le massif de la Maladeta. Tous les grands pyrénéistes de l’âge d’or y ont séjourné.
La nécessité d’une présence permanente près du troupeau a poussé les bergers à construire leur abri sur les herbages d’altitude. Le seul matériau disponible sur place étaient les pierres de l’éboulis le plus proche. Que d’ingéniosité et de patience a-t-il fallu pour déplacer ces gros blocs, les dresser un sur l’autre, ajuster leur assise et puis hisser à quelques deux mètres de haut les épaisses dalles formant la voute de la toiture. Ces solides constructions en pierre sèche recouvertes de motte d’herbe pour parfaire l’étanchéité que l’on appelle orris s’intègrent si parfaitement dans le paysage que l’on peut passer à quelques mètres de certaines sans les voir. Ces orris sont essentiellement répandus en Ariège et en Catalogne mais c’est dans les hautes vallées du Vicdessos qu’ils sont le plus nombreux, formant comme sur le Pla de Carla de véritables petites villages.
L’architecture des cabanes de berger a bien évolué avec le temps. Les matériaux de construction se sont diversifiés, on a transporté jusque dans les estives le bois pour les charpentes, les lauzes pour les toitures. On a dressé des murs pignons, scellé les pierres à la chaux, portes et fenêtres ont fait leur apparition; désormais plus besoin de se courber pour rentrer ou sortir ni de se confiner dans un espace réduit. Beaucoup de ces cabanes sont toujours debout, sur le toit, la tôle ondulée a bien souvent remplacé l’ardoise, réaménagées pour certaines, elles deviennent des lieux accueillants pour passer une agréable soirée entre amis. Qui ne serait apprécier un weekend à la cabane Bousquet dans le massif du Madres roussi par l’automne ou une soirée d’hiver autour de la cheminée où grille la saucisse dans celle d’Ourtiga au dessus le la vallée du Louron avec la promesse le lendemain d’une descente fabuleuse dans une neige de cinéma.
Enfin après la second guerre mondiale, le béton a fait son apparition dans nos montagnes. Les cabanes des années cinquante et soixante n’ont pas dérogé à la mode de l’époque qui voulait que la modernité ne puisse ressembler à autre chose qu’un cube de béton. Fort heureusement les préoccupations environnementales, le souci d’intégration du bâti dans le paysage montagnard font que l’on revient plus volontiers à utilisation des matériaux présents sur place notamment avec la tendance actuelles des toitures végétalisées. La boucle est bouclée, les cabanes modernes n’ont jamais autant ressemblé aux orris de nos ancêtres.
LA CABANE, UNE DESTINATION EMBLEMATIQUE. On ne va pas dans une cabane, on va en cabane. La différence est de taille. On ne délaisse pas son moelleux canapé, l’eau chaude des robinets et tout un superflu pour l’inconfort d’une cabane mais pour un dépaysement, une sorte de besoin impérieux de s’ébrouer tout entier, corps et esprit, dans la nature. Et puis, derrière la porte des cabanes se trouve aussi un peu de notre enfance, de nos rêves perdus de trappeur et de grands espaces.
C’est sans nul doute au cœur de l’hiver que cette « ambiante cabane » est la plus magique. Le bois qui flambe dans la cheminée, le froid qui mord dans la nuit et dans la cabane enfumée des amis qui ripaillent après une rude montée dans la neige. C’est ça « l’esprit cabane » un savant dosage d’effort et de saucissonnade. On peut ainsi monter en cabane pour le simple plaisir de pousser la porte, d’y passer une heure, d’y savourer une grillade. Il y a des « efforts cabanes » pour tout les âges, toutes les conditions physiques et pour tous les appétits.
Quant aux pros de la cabane, aux inconditionnels qui en connaissent de superbes même pas mentionnées sur les cartes, leurs secrets si bien gardés soient-ils finissent très vite en Polichinelle. Car il en est des cabanes comme de toutes choses, certaines sont très en vogue, elles affichent souvent complet, d’autres, plus clandestines, se tiennent à l’écart des chemins fréquentés et ne se laissent bien souvent approcher qu’après avoir tourné autour. Sur le millier de cabane recensé d’un bout à l’autre de la chaîne, chacun sera, je suis sûr, trouver la sienne. Cabane trois étoiles pour les eux, rusticité de l’ancien temps pour les autres, chaque montagnard se doit d’avoir dans un vallon secret, sa petite cabane où il aime à se ressourcer.
Cabane ou refuge non gardé ?
Il semblerait que la fonction première du bâti, construit à l’origine soit pour un usage pastoral, soit pour un usage touristique, détermine une fois pour toute sa dénomination. Ainsi indépendamment de son architecture, de son réaménagement, de sa capacité d’accueil, une cabane occupait autrefois par un berger restera une cabane.
Vous avez dit cabane ?
D’un bout à l’autre de la chaîne de même que d’un versant à l’autre, les cabanes sont désignaient par un vocable hérité de la langue de la région. Ainsi etxola, olha en Pays basque de même que cayolar que l’on retrouve également en Béarn. A l’autre bout de la chaine en Catalogne, on parle de barraqua ou de capitelle dans l’Aude. Sur l’autre versant, c’est entre autre borda, caseta, cabaña qui sont utilisées.































